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La Demeure du Chaos et le respect des règles d’urbanisme

Voici un arrêt intéressant rendu en matière pénale par la Cour de Cassation, qui a considéré  que les dispositions d’un règlement d’urbanisme prévoyant que « par leurs aspects, les constructions doivent être en harmonie avec les constructions voisines existantes, le caractère des sites et paysages dans lesquels elles s'insèrent » ne sont pas des dispositions subjectives excluant la validité de l’incrimination pénale, mais qu’il s’agit de dispositions suffisamment claires et précises :

 

« Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, les 29 novembre et 4 décembre 2004, un huissier de justice, puis le maire de la commune de Saint-Romain-au-Mont-d'Or (Rhône), ont constaté que les façades de l'immeuble dit "Le Domaine de la Source", ainsi que le mur d'enceinte, avaient été recouverts de peinture de couleur rouge sang, de signes et inscriptions noirs, de dessins noirs et blancs et que des blocs de pierre noire figurant des météorites y avaient été insérés ; que la société civile immobilière VHI, propriétaire des lieux, et Thierry X..., créateur de ce qu'il appelle "La Demeure du Chaos", ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, à l'initiative du ministère public, pour avoir modifié, sans autorisation préalable, l'aspect de l'édifice, situé dans le champ de visibilité de l'église et du manoir de Bessée, monuments inscrits sur la liste supplémentaire des monuments historiques ; qu'ils ont été poursuivis également pour avoir procédé, sans déclaration préalable, à des travaux de clôture et modifié l'aspect extérieur du bâtiment, ainsi que pour avoir contrevenu aux dispositions du plan d'occupation des sols ; que, prononçant sur l'action publique, la cour d'appel, infirmant partiellement le jugement, a relaxé la société VHI de l'ensemble des infractions et Thierry X... de l'infraction au plan d'occupation des sols et n'a pas ordonné la remise en état des lieux ; qu'elle a confirmé la déclaration de culpabilité de Thierry X... du chef de la réalisation de travaux sans déclaration préalable ayant pour effet de modifier l'aspect extérieur de l'immeuble et sa relaxe pour le surplus ; qu'elle a débouté la commune de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, partie civile, de ses demandes à l'égard de la société VHI et condamné Thierry X... à lui verser un euro à titre de dommages-intérêts ;

 

En cet état :

 

Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Célice, Blancpain et Soltner pour la commune de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, pris de la violation des articles L. 480-4-1, L. 480-4 du code de l'urbanisme, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

 

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé la SCI VHI du chef d'infraction aux règles de l'urbanisme ;

 

"aux motifs qu' "il résulte des pièces de la procédure, en particulier du procès-verbal de constat établi par le maire de la commune, d'un constat dressé par un huissier de justice, d'une planche photographique réalisée par les gendarmes enquêteurs et des déclarations de Thierry X..., que ce dernier a réalisé de nombreux travaux non visés à la prévention et a procédé à des peintures, inscriptions et dessins de couleur rouge ou noir, et à des insertions de blocs de pierre noire sur les façades de l'immeuble dénommé "Domaine de la Source" appartenant à la SCI VHI, ainsi que sur les murs de clôture entourant cette propriété ; que ces travaux ont été exécutés sans déclaration préalable ; qu'en cours d'enquête et lors des débats devant le tribunal, le représentant de la direction régionale des affaires culturelles a estimé que le Domaine du Chaos constituait une oeuvre d'art dans sa globalité, qu'il s'agissait d'une oeuvre de collaboration avec une direction homogène ; que cette qualification n'est ni contestée ni remise en cause par aucun élément ; que la commune indique qu'elle n'entend pas se prononcer sur ce point ; que la responsabilité pénale des personnes morales n'a été instituée en matière d'infractions d'urbanisme que par la loi du 2 juillet 2003 ; que la SCI VHI ne peut, en conséquence, être condamnée pour des infractions commises avant cette date ; que la prévention vise des faits commis les 29 novembre et 4 décembre 2004, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription ; que les prévenus soutiennent que les travaux visés à la prévention ont été réalisés à partir de l'année 1999 pour s'achever en 2001 et 2002 ; qu'aucun élément ne permet de considérer que les travaux incriminés ont été réalisés postérieurement au 2 juillet 2003 ; que les dates des 29 novembre et 4 décembre 2004 retenues dans les citations correspondent aux dates des premiers constats établis par un huissier de justice et par le maire, alors que les travaux incriminés étaient achevés ; que, par ailleurs, aucune acte de l'enquête, ni les débats ne permettent de considérer que les délits ont été commis pour le compte de la SCI VHI par l'un de ses organes ou de ses représentants postérieurement à la date à partir de laquelle la responsabilité pénale de la personne morale était susceptible d'être engagée ; que le seul document ayant trait à la SCI VHI consiste en un "extrait confidentiel du contrat du 9 décembre 1999" remis aux enquêteurs par Thierry X..., par lequel la SCI VHI a permis à ce dernier de réaliser l'oeuvre intitulée "Nutrisco et Extinguo, l'esprit de la Salamandre" ; que ce document non signé, comportant la précision selon laquelle les extraits du contrat ne peuvent constituer une preuve, ne précise pas le nom du représentant de la société civile susceptible de l'engager ; qu'en conséquence, en l'absence de fait délictueux commis pour son compte par l'un de ses organes ou représentants, à une époque où sa responsabilité pénale était susceptible d'être engagée, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu sa culpabilité pour deux infractions et confirmé sur la relaxe prononcée pour les autres délits ;

 

"alors qu'aux termes de l'article L. 480-4-1 du code de l'urbanisme applicable à compter du 2 juillet 2003, la personne morale bénéficiaire de travaux peut se voir imputer l'exécution de travaux en méconnaissance des obligations imposées par les titres 1er, 2, 4 et 6 du livre I du code de l'urbanisme ; qu'en l'espèce, était soumis aux débats le "catalogue raisonné" de la Demeure du Chaos, duquel il ressort que, postérieurement au 2 juillet 2003, des modifications ont été apportées à l'édifice irrégulièrement construit par Thierry X... (cf. pages 422 à 427, pages 494 à 503, pages 539 et suivantes, et page 594) ; qu'en retenant qu'aucun acte de l'enquête, ni les débats ne permettaient de considérer que les délits ont été commis pour le compte de la SCI VHI postérieurement à la date à partir de laquelle la responsabilité pénale de la personne morale était susceptible d'être engagée, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant les articles visés au moyen" ;

 

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

 

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

 

Attendu que, pour relaxer la société VHI, l'arrêt retient, notamment, qu'aucun élément recueilli au cours de l'enquête et des débats ne révèle la réalisation de travaux pour le compte de cette société par ses organes ou représentants postérieurement au 2 juillet 2003, date à compter de laquelle la responsabilité pénale des personnes morales était susceptible d'être engagée du chef d'infractions au code de l'urbanisme ;

 

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher s'il ne résultait pas du catalogue raisonné de la Demeure du Chaos, soumis au débat contradictoire des parties, l'existence de modifications apportées à l'édifice après le 2 juillet 2003, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

 

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

 

Et sur le deuxième moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Célice, Blancpain et Soltner pour la commune de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, pris de la violation des articles L. 480-4, L. 160-1 et R. 111-21 du code de l'urbanisme, 11 du plan local d'urbanisme de la commune de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, 111-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

 

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Thierry X... du chef de méconnaissance des prescriptions du plan local d'urbanisme de la commune de Saint-Romain-au-Mont-d'Or ;

 

"aux motifs qu' "est reproché à Thierry X... d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article 11 du plan d'occupation des sols définissant les zones UEC et UAC, imposant que, par leur aspect, les constructions nouvelles et les bâtiments anciens soient en harmonie avec les constructions voisines existantes, le caractère des sites et les paysages dans lesquels elle s'intègrent ; que le prévenu souligne à juste titre que la règle qu'il lui est reproché d'avoir méconnue est dépourvue de la clarté et de la prévision nécessaire pour fonder une condamnation pénale exempte d'arbitraire, et que rechercher si les oeuvres de la Demeure du Chaos, consistant notamment en scarifications et incrustations sur les murs, sont ou non en accord avec le caractère que donnent au voisinage les excavations, amputations et déformations inscrites dans le paysage du vallon de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, résultant de l'exploitation de vastes carrières, relève d'une appréciation subjective de concepts esthétiques, impropre à fonder des règles objectives susceptibles de sanctions pénales ; qu'une décision de relaxe doit également intervenir sur ce point ;

 

"alors qu'aux termes de l'article 11 du plan d'occupation des sols de la commune de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, par leurs aspects, les constructions doivent être en harmonie avec les constructions voisines existantes, le caractère des sites et paysages dans lesquels elles s'insèrent ; que le concept d'harmonie renvoie au respect des règles objectives d'urbanisme auxquelles sont astreintes les constructions voisines existantes et à l'unité architecturale du secteur concerné, de sorte qu'en relaxant Thierry X... de la contravention aux dispositions de l'article 11 du plan d'occupation des sols par la considération que l'harmonie qui s'impose entre les constructions voisines existantes, le caractère des sites et paysages dans lesquels elles s'insèrent relèverait d'une appréciation subjective de concepts esthétiques, impropre à fonder des règles objectives susceptibles de sanctions pénales, la cour d'appel a méconnu les termes de l'article 11 du plan d'occupation des sols, ensemble les textes visés au moyen" ;

 

Et sur le même moyen, soulevé d'office au profit du procureur général ;

 

Les moyens étant réunis ;

 

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

 

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

 

Attendu que, pour infirmer le jugement et renvoyer Thierry X... des fins de la poursuite du chef d'infraction au plan d'occupation des sols, l'arrêt énonce que la règle, résultant dudit plan, selon laquelle l'aspect des constructions doit être en harmonie avec, d'une part, les constructions voisines et, d'autre part, le caractère des sites et paysages dans lesquelles elles s'insèrent, n'est ni claire ni précise et qu'elle relève d'une appréciation subjective ;

 

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait de rechercher si les travaux réalisés étaient conformes aux dispositions suffisamment claires et précises du plan d'occupation des sols, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

 

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;

 

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de cassation proposés :

 

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 13 septembre 2006, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

 

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil. »

 

 (Cour de Cassation 11 décembre 2007)

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